l’architecte André Ravéreau

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Né en 1919, l’architecte André Ravéreau cumule aujourd’hui une œuvre construite et écrite qui est un manifeste en faveur d’une architecture cohérente et située. Il s’est beaucoup consacré à l’étude des architectures et cultures méditerranéennes, toujours dans le souci de comparer la pertinence du geste savant à celui du savoir-faire vernaculaire.

Élève d’Auguste Perret à l’école des beaux-arts de Paris entre 1946 et 1950, André Ravéreau reçoit l’enseignement rigoureux d’un « poète, qui parle et pense en construction » . En 1949, alors qu’il est encore étudiant, il se rend dans la vallée du M’zab, en Algérie. L’architecture mozabite, par l’harmonie qu’elle dégage, est décisive dans son appréhension de la construction ; ce voyage lui inspire une véritable  leçon d’architecture. « Comme tout le monde, j’ai reçu la séduction de Ghardaïa avant d’en faire l’analyse. On a l’intuition que les choses possèdent un équilibre que l’on appelle esthétique, et cela avant de savoir comment c’est, un équilibre […]. [C'est] l’analyse qui me l’a appris par la suite, j’ai vu dans le M’Zab à la fois la rigueur que j’aimais chez Perret, dont j’étais l’élève, et les formes exaltantes que l’on trouve chez Le Corbusier […]. » [André Ravéreau, Le M’zab, une leçon d’architecture, Paris, Sindbad, collection « La Bibliothèque arabe » , 1981, p. 25-26]

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En 1965, André Ravéreau est pressenti par le ministère de l’information et de la culture d’Algérie pour devenir architecte en chef des Monuments historiques. Installé à Ghardaïa, il parvient dans le cadre de ses fonctions à sauver une grande partie du patrimoine culturel et architectural du pays. Il obtiendra, entre autres, la classification au Patrimoine Mondial de l’U.N.E.S.C.O. de la ville de Ghardaïa et de la mosquée de Sidi Okba. En 1970, il crée un premier atelier du ministère – l’atelier d’étude et de restauration de la vallée du M’Zab – qui permit à quelques jeunes architectes, qui s’y étaient présentés, de réaliser de nombreux relevés des maisons mozabites.

Insatisfait des moyens limités qu’offrait le ministère, André Ravéreau crée en 1973, à l’aide de Naït Ali, haut fonctionnaire algérien du ministère de l’Intérieur, un second atelier, l’E.R.S.A.U.R.E. (Établissement Régional Saharien d’Architecture, d’Urbanisme et d’Environnement) plus communément appelé l’atelier de Ghardaïa ou, a posteriori, l’atelier du désert. Il y voit l’opportunité de proposer un enseignement différent de celui qu’il avait reçu aux beaux-arts, basé sur l’apprentissage d’une culture constructive par la pratique, par le chantier. Bien qu’il ne s’agisse pas de protections, de nombreuses maisons furent ainsi restaurées et quelques constructions neuves réalisées dont les logements économiques de Sidi Abbaz.

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En 1975, par un fâcheux concours de circonstances, André Ravéreau est éconduit de l’atelier et contraint de se retirer en France où il s’installe définitivement. Aidé de son bras droit, sa compagne Manuelle Roche, il rédige et publie son premier livre, Le M’Zab, une leçon d’architecture. Depuis sa résidence ardéchoise, il continue à concevoir une architecture située. C’est ainsi qu’il obtient en 1980 le prix d’architecture Aga Khan pour le centre de santé de Mopti. Puis, en 1983, la médaille d’argent de l’urbanisme lui a été décernée par l’académie d’architecture pour l’ensemble de son œuvre. C’est récemment, en 2012, qu’il a reçu la médaille du mérite de l’Algérie pour sa contribution à la valorisation du patrimoine de ce pays.

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André Ravéreau n’imite pas les formes de l’architecture vernaculaire mais cherche à la comprendre pour mieux inscrire ses réalisations dans l’épaisseur d’une culture. « Je me penche beaucoup sur l’architecture dite « populaire ». J’y trouve des subtilités constructives savoureuses, des inventions, une rigueur qui, à mes yeux, fait défaut à certaines architectures « de représentation ». [...] [L]’architecture dite populaire est aussi savante dans la mesure où elle est le fruit d’un savoir très élaboré. » [André Ravéreau dans Vincent Bertrand du Chazaud, André Ravéreau, Maya Ravéreau, Du local à l’universel, Paris, éditions du Linteau, 2007, p. 105.]

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Par la suite, son travail en tant qu’architecte conseil du C.A.U.E. de Lozère de 1985 à 1993, lui inspire de nombreuses publications aux ambitions renouvelées. Suite aux études approfondies de différents lieux, du M’Zab au Caire en passant par Alger, qui ont abouti pour la plupart à des publications, André Ravéreau entame alors une série de travaux portant sur le détail des éléments d’architecture savantes et vernaculaires, à travers l’ensemble de la méditerranée : la baie, le chapiteau, le portique… Aujourd’hui, à l’âge de 95 ans, il poursuit inlassablement, ces divers travaux, fidèlement illustrés des fonds photographiques de Manuelle Roche, et sans cesse enrichis de nouvelles réflexions. 

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 La villa M.

réalisation – avec collaboration de Philippe Lauwers, et la participation de Paul Pedrotti

localisation  Ghardaïa, vallée du M’Zab (Algérie) – nature  résidence privée – date  1967-1968 – client  particulier

 « La villa M. a été conçue en cohérence avec les traditions de la vie ibadite, principalement conduites par le climat, et la religion. La construction, disposant en tout de 700m2 de plancher, comporte plusieurs niveaux. Au rez-de-chaussée se trouvent le west ed-dar, l’espace central de vie pour les heures les plus chaudes des jours d’été, le aali, salle de prière, un bureau, des entrées séparées pour les hommes et les femmes et, de part et d’autre de la piscine, plusieurs jardins et salles de séjour. Un astucieux système de portes crée des espaces privés nécessaires aux hommes et aux femmes. Les deux étages supérieurs sont organisés autour de patios ouverts et de terrasses flanquées de galeries (traditionnelles ikomar) qui constituent autant d’espaces de vie répondant à l’usage mozabite. Ainsi, le premier étage accueille notamment une salle de prière pour les femmes.

D’un côté, il y a la maison familiale proprement dite. L’autre côté est entièrement occupé par la douira, la maison des invités, dans le respect de la tradition. La cour d’accès est située sur l’espace central, suivie de la piscine. Celle-ci est prévue en élévation de telle manière qu’elle puisse se vider naturellement, selon la pente, pour irriguer le jardin au fond. Par un système de fermeture amovible, la piscine est accessible soit aux invités, soit à la famille. Depuis la douira, il n’y a pas de point de vue sur la piscine alors qu’il en existe du côté familial : les femmes ne doivent pas être vue des étrangers mais ont toute licence de les voir.

Dominant l’une des salles des hommes en double-hauteur, un moucharabieh permet aux femmes d’observer les réunions masculines et même d’y participer oralement, ce qui n’est en rien interdit par les préceptes religieux. À la différence des moucharabieh du projet de la poste, ceux de la villa s’ouvrent sur les espaces privés du jardin ; ceux-ci sont alors suspendus au dessus de la fenêtre, en console, afin de conserver une vue plongeante entièrement libre, tout en protégeant l’intimité de la famille des espaces publics lointains.

Le chantier ayant débuté peu après celui de la poste de Ghardaïa, les matériaux et les systèmes constructifs sont les mêmes. À l’exception des glaces trempées et des matières plastiques, tous les matériaux ont été choisis parmi ceux que le marché local proposait : pierres, parpaings de ciment, poutrelles de béton armé et voûtains de plâtre. »

 

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Logements à Sidi Abbaz

réalisation – avec la participation de Michel Meert (suivi de chantier), et dans le cadre de l’ERSAURE

localisation  Ghardaïa, vallée du M’Zab (Algérie) – nature  logements économiques – date  1976 – client  Ministère de l’intérieur algérien, ERSAURE

 « Le site du projet se trouve à l’est de Ghardaïa, au cœur de la vallée du M’Zab. Les constructions se trouvent au pied d’une colline qui bénéficie d’un panorama sur la ville historique de Bounoura vers le sud et sur la palmeraie vers l’est. Il s’agit d’une vingtaine de logements, en amorce d’un groupement de plusieurs centaines d’autres. La circulation a été cherchée par des rues étroites, dont le réseau est ponctué de placettes plantées de palmiers. L’étroitesse des rues tempère l’échauffement des murs. Dans certains types de logement, une chambre se développe sur rue pour former un passage couvert, une solution bénéfique pour apporter de l’ombre à la circulation des piétons sous la chaleur.

Les logements reproduisent les rapports intérieur/extérieur propres à la coutume mozabite. Au rez-de-chaussée, on trouve la sqiffa, l’entrée en chicane qui permet de laisser la porte ouverte tout en arrêtant les regards indiscrets ; des accès au séjour sont différenciés, et peuvent être séparés par une cloison modulable. À l’étage, on retrouve la terrasse favorable au sommeil en été, bordée d’un auvent, l’ikomar traditionnel, et protégée, côté rue, par un mur d’acrotère. Cette terrasse constitue la couverture de la cuisine, placée à mi-niveau, permettant ainsi de servir indifféremment le rez-de-chaussée ou l’étage, selon la saison ou l’heure : la terrasse les soirs d’été ou le midi en hiver, le rez-de-chaussée dans le cas échéant.

Les matériaux de construction sont les mêmes que pour la poste de Ghardaïa et la villa M. La plupart des unités possèdent trois murs mitoyens et ne disposent que de peu d’ouvertures sur leur façade. La hauteur de construction n’excède pas sept mètres soixante, et la taille des fenêtres est limitée à 1m2. Une protection thermique accrue fut obtenue via la construction d’un double mur extérieur aux niveaux supérieurs, mur-masque, et grâce au percement d’ouvertures dans le toit et dans le plafond, permettant une bonne circulation de l’air. »

 

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Hôtel des postes de Ghardaïa

réalisation – en association avec Michel Rossier et Béatriki Gattou

localisation  Ghardaïa, vallée du M’Zab (Algérie) – nature  réception, bureaux, logement – date  1966-1967 – client  Ministère des PTT

« Cette construction, implantée au sud-est de Ghardaïa, et au sud de l’espace réservé au centre administratif, constitue la première réalisation de détail du plan directeur de la vallée du M’Zab, sur lequel j’avais travaillé précédemment. Avant tout, les volumes de la poste sont définis par leur situation dans le plan d’urbanisme de détail de la place.

Sur la surface réduite de la placette d’accès, la hauteur des bâtiments ne devait pas excéder une cote de sept mètres, soit deux niveaux, plus un mur d’acrotère d’environ 1,40m. C’est à peu près ce que la tradition mozabite exige de ses constructions domestiques. La construction comprend l’appartement du receveur et, en rez-de-chaussée, la salle pour l’accueil du public. Sur la rue passante qui autorisait des hauteurs plus importantes, se trouve le central téléphonique. Le bâtiment présente une série de décrochés, permettant de conserver le point de vue sur le minaret depuis la rue.

Les matériaux ancestraux étaient alors depuis longtemps abandonnés et économiquement impraticables. À défaut d’une recherche sur ce point, j’ai utilisé les matériaux d’emploi courant : la pierre pour l’assise des murs, mais employée en blocs extraits de carrières -contrairement au long ramassage traditionnel-, et l’ « universel » parpaing de ciment. Pour palier à la mauvaise qualité isotherme du ciment -couramment compensée par le climatiseur que l’on commençait à voir fleurir sur les maisons mozabites-, j’ai alors conçu le « mur-masque » : un mur en parpaing doublé d’une cloison légère en extérieur, laissant entre les deux parois un espace de ventilation.

Les différents moucharabieh, réalisés par Abro Deraprahamian à partir d’une esquisse au 1/50è, sont en timchent, un plâtre avec une armature en tiges de palme, qui est traditionnel au pays. L’enduit couvrant l’ensemble de la maçonnerie en parpaing était également issu d’une pratique ancestrale, que peu de gens savaient encore faire : un enduit de chaux et de sable, fouetté avec les régimes de dattes qui, une fois le fruit enlevé, présentent naturellement des tiges pleines d’aspérités. »

 

aladar

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