Organisation urbaine et architecturale
Organisation urbaine et architecturale
L’organisation urbaine dans le Mzab est amazighe dans son essence et musulmane dans sa doctrine. Pour mieux comprendre la portée du rite ibadhite, il faut explorer en profondeur dans le milieu socioculturel de ces populations amazighes ayant embrassé l’ibadhisme[6]. L’architecture du Mzab, qui s’intègre dans un environnement spécifique et répond à des besoins stricts, se caractérise par la simplicité. C’est pourquoi il y subsiste des pratiques hostiles au luxe et aux comportements ostentatoires. Partout dans les cités du Mzab, une des grandes énergies de la communauté a été le long des siècles mobilisée pour arriver à ériger sur des tertres les actuels sept igherman en mettant préalablement un savoir-faire déjà consolidé durant l’âge d’or de Tahert, un savoir-faire bien appris et repris, bien revalorisé et maîtrisé par les At Mzab. Il est aussi utile de préciser que le Mzab forme par ailleurs la continuité d’Isedraten[7] (Sedrata) éphémère qui a été ensevelie sous la mer des sables. La fondation des sept cités actuelles (Igherman, sing. d’Agherm) s'était étalée sur une période de presque sept siècles et ce, avec la fondation de la dernière cité de Bergan vers la fin du dix-septième siècle. Ces cités se distinguent par leur architecture spécifique et une organisation de l'espace qui s'articule autour du sacré et du profane (mosquée et cimetière, habitations et marché), un dedans et un dehors qui caractérisent aussi bien la demeure familiale que la cité. Le paysage du Mzab offre un contraste coloré, entre l’ocre rose des monticules, le vert des verdoyantes oasis, le bleu vif du ciel et le bleu pastel des cités dont les maisons sont étagées les unes au-dessus des autres.
L’implantation de l’Agherm se fait sur un tertre dégagé afin de répondre aux quatre principes primordiaux :
1. Protéger la cité de toute incursion et/ou attaque extérieure en mettant à profit les accidents de terrains qui entourent l’agherm.
2. Protéger et dégager les terres cultivables.
3. Mettre à l’abri les habitations et les activités urbaines du ksar de tout risque d’inondation.
4. Avoir la meilleure protection contre les rigueurs climatiques.
L’implantation de l’Agherm avec la palmeraie forme le noyau-socle de la vie humaine qui fait partie d’une étendue géographique. Les espaces vitaux desquels est tributaire la population sédentaire sont comme suit :
1. Agherm (cité fortifiée) : enclos habité et assurant la vie familiale et sociale.
2. Tijemmiwin (Palmeraies) : espaces de subsistance et de fraicheur.
3. Tinḍal (Cimetières) : espace des morts.
Chaque agherm s’organise suivant trois espaces qui sont les éléments de structuration, avec un réseau de parcours (rue, ruelle et impasse) :
1. Centre spirituel sacré, la mosquée (tamesjida).
2. Domaine d’habitation intime (tiddar).
3. Centre public, masculin et profane, le marché (souk).
Le site d’implantation de l’Agherm répond à des besoins, et les diverses données ne favorisèrent que l’idée d’un isolement recherché et sécuritaire et ce, dans le contexte d’une vie oasienne opposant l’intérieur sécurisant et connu de l’extérieur hostile et inconnu. Par conséquent, la société du Mzab était contrainte de subvenir strictement à ses besoins substantiels les plus vitaux que de ses palmeraies créées de toutes pièces dans le désert. Par ailleurs, l'ibadhisme et tamazight comme langue et culture constituent la double cohésion qui fait qu'il est difficile de dissocier un umzab (mozabite) de l'ibadhisme.
Vie culturelle
Une culture qui ne s’actualise pas s’anachronise, pour prendre à coup sûr le chemin qui mène tout droit à la disparition. La diversité, l’expression de soi, la transformation et la prospérité sont le résultat de la vitalité culturelle. La diversité culturelle est autant précieuse que la biodiversité. Dans le Mzab, même si elle est basée sur l’oralité, toute une vie littéraire et culturelle a toujours existé. A présent, le patrimoine immatériel est aussi attesté par un grand fond de manuscrits portant sur les divers domaines historique, linguistique, religieux, juridique, social… et littéraire. Cette multi-richesse avait vite attiré l’attention des européens qui l’ont exploitée dans beaucoup de recherches interdisciplinaires.
La culture dans le Mzab est l'expression la plus profonde de ses richesses. Chaque période historique a laissé une masse de savoir-faire et de connaissances qui ne cessent d'évoluer de génération en génération. Quant aux générations actuelles, il est constructivement de leur devoir de penser à la préservation et à la mise en valeur de tout l'ensemble culturel du Mzab et ce, sous ses différents aspects d'expressions poétiques, techniques… et artistiques. L’emprise sociale de la culture populaire est une réalité nationale et un habitus légitime. L’avenir des At Mzab dépend diamétralement et plus que jamais du rapport de ces derniers aux éléments constitutifs de leur langue et de leur culture amazighe qui sont en symbiose avec leur religion universelle.
Le grand inventaire des contes (tinfas, en amazighe du Mzab) populaires oraux qui, dans une étape ultime, continue de résister à la disparition, nécessite une sauvegarde écrite. Le conte traditionnel se situe en effet à l'articulation de deux types de sociétés, l'une traditionnelle, et l'autre en devenir. C’est un inventaire qui offre un menu varié au plan thématique et selon des typologies variables. Dans un schéma simplifié, les récits peuvent être classés selon trois catégories :
1. Les légendes inspirées des textes sacrés, mais bien adaptés aux réalités géographiques, culturelles, sociales… et économiques.
2. Les récits issus de la région du Mzab et traitant de thèmes spécifiques à cette dernière.
3. les récits inspirés d’œuvres connues et faisant partie des autres cultures (comme « Mille et Une Nuit ») sans rapport avec les réalités historiques de la région.
En excluant les récits de la 1ère catégorie, les autres se manifestent an ayant les caractéristiques suivantes :
§ Du point de vue contenu, les récits narrés sont courts et, des fois, bien très courts (anecdotiques et légendaires).
§ L’anecdote fait relater la genèse d’un adage ou justifier une légende.
§ Le héros est toujours un personnage humble : une veuve, un(e) orphelin(e), une personne pieuse, une fille, etc...
§ Faisant partie de l’oralité, le conte reste malléable (il y a à remarquer que des détails apparaissent et disparaissent d’un conteur à l’autre).
§ Le conte traditionnel n’a pas de propriétaire, il relève du monde des conteuses, et fait partie au fond du patrimoine populaire.
§ Un bon nombre de contes ne connait pas de titres. On fait remarquer que le titre correspond dans la plus part des cas au nom du héros ou à une formule consacrée.
§ Le conte oral est véhiculé par le genre féminin à la veillée.
§ Contrairement aux domaines artistiques tels le chant et la danse, le conte populaire est toléré par les hommes de pieux.
§ Des contes narrés dans le Mzab ont, comme au reste de Tamazgha, leurs versions dans la tradition méditerranéenne.
L’expression orale est le trait marquant des différentes productions intellectuelles et artistiques nées dans le Mzab. Malgré que l’ancien patrimoine culturel véhiculé par la tradition orale (contes, adages, poèmes, proverbes, chants ou toute autre forme d’expression) recèle bien une richesse intellectuelle, morale et artistique d’une grande valeur, tout s’est passé comme si, pour les lettrés (en langue arabe), seule la chose religieuse mérite le soin d’être écrite. Aujourd’hui, on peut dire que le passage d’une production culturelle orale à celle écrite a été marqué par la création du conseil de Tumzabt dans les années 1980 auquel ont pris part des hommes déterminés. Ces sont ces hommes qui ont marqué les tous débuts du passage de la langue amazighe dans le Mzab du stade de l’oral à l’écrit. A présent, le Mzab compte des dizaines d’homme ayant produit des centaines de poèmes et de proses. Le nombre de poètes ne cesse d’augmenter depuis notamment les années 1990, et des recueils de poèmes sont aujourd’hui publiés. Par ailleurs, l'introduction de l'enseignement de tamazight dans le Mzab, qui avait connu ses débuts vers le début des années 1990 au sein de l'institut "El-Islah" de Tagherdayt où a été introduites la matière langue et la littérature tumzabt, a tout particulièrement permis de contribuer à marquer le passage de l’oralité à l’écriture. Et cet enseignement qui résiste à toutes les tentations d’étouffement, dure jusqu’à nos jours.
Par ailleurs, depuis les années 1980, des étudiants du Mzab ont pris l’initiative de prendre en charge leur langue-culture en animant des expositions culturelles aux universités et au sein des associations dont la plus renommée est l’association Bergan pour la protection de l’environnement et la sauvegarde du patrimoine culturel. Dans cette optique, et suite à une demande destinée au HCA, il y avait du 22 au 24 mars 2000 l’organisation par le mouvement associatif, sous l’égide du HCA, de la deuxième édition du Festival de la poésie amazighe à Bergan.
Dans ce temps, deux revues ont été animés (revues Tifawt et Izmulen). Quant aux mass médias, outre la présence de tumzabt à la chaîne 2, la chaîne de Ghardaia, depuis sa création, consacre de manière subalterne un certain temps très insuffisant pour diverses émissions en langue amazighe du Mzab.
Par Hammou DABOUZ
Références bibliographiques
· Brahim CHERIFI, 2003. Université de PARIS III VINCENNES-SAINT-DENIS, Thèse pour le doctorat d’anthropologie. « Etude d’Anthropologie Historique et Culturelle sur le Mzab ».
· Joël ABONNEAU, 1983. Université de PARIS I (Panthéon Sorbonne), Thèse pour le doctorat de 3ème Cycle en Art et Archéologie. « PREHISTOIRE DU M’ZAB (ALGERIE – WILAYA DE LAGHOUAT ».
· IZMULEN, Yennar 2951 (2001). Revue de l’Association Culturelle BERGAN, Numéro 01.
· Brahim BENYOUCEF, 1986. Entreprise Nationale du Livre –ALGER, LE M’ZAB : les pratiques de l’espace.
· Djilali SARI, 2003. Editions ANEP, LE M’ZAB : Une création ex-nihilo en harmonie avec les principes égalitaires de ses créateurs.
· A. RAVEREAU, 1981. Editions Sindbad, Paris, Le M’Zab, une leçon d’architecture.
· A. IBN KHELDOUN, Traduction de Slane, Paris, Geuthner, 1934, 4 Vol, Histoire des Berbères et des dynasties musulmanes en Afrique septentrionale.
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[6] L’histoire qui nous renseigne que l’islamisation de Tamazgha (Afrique du nord) a été grâce à la conquête d’Okba Ibn Nafeâ est en fait fausse. Ce dernier ne fut pas parvenu à propager par les armes la nouvelle religion en Afrique du nord. La preuve est que ce même conquérant avait été au cours d’une bataille tué par l’Agellid amazighe Aksil (Kosseila). Les faits historiques les plus objectifs montrent que l’islamisation des amazighes est le fruit de l’action d’un nombre de missionnaires pacifiques d’un courant de l’islam dit ibadhisme.
[7] Le toponyme Isedraten doit son origine à une tribu amazighe issue des Izenten (Zénètes). La date hypothétique de sa destruction par un chef nommé El-Mançour El-Machriq (dont la nationalité demeure inconnue) remonte à 1274 de l’ère grégorienne. Et une fois cette ville bondonnée par ses habitants, elle a été ensevelie par les sables.
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